Géo-Bestiaire 18
J'ai reçu l'ordre, en rêve bien sûr,
d'entamer les épitaphes de trente-trois amis
sans utiliser des grands mots comme amour pitié fierté
sacrifice destin honneur ciel enfer terre :
Ô toi fleur déliquescente
Ô vous longues siestes bien-aimées
Ô toi opossum de Géorgie mort sur la route
Ô toi ampoule rouge grillée
Ô toi furieuse tache de moustique
Ô toi fille dure aux neuf doigts de pied
Ô toi bibendum aux chaussures bleu pâle
Ô toi poète sans livre
Ô toi lichen sans arbre ni pierre
Ô toi lion sans gorge
Ô toi érudit aux pieds sales et sans foyer
Ô toi oiseau de la jungle sans jungle
Ô toi ville à l'unique rue
Ô toi minuscule soleil sans terre
Pardonne-moi de dire bonsoir calmement
Pardonne-moi de ne jamais répondre au téléphone
Pardonne-moi d'envoyer trop d'argent
Excuse-moi de pêcher pendant ton enterrement
Pardonne-moi de penser à ton adorable cul
Excuse-moi de brûler ton dernier livre
Pardonne-moi de faire l'amour à ta veuve
Excuse-moi de ne jamais parler de toi
Pardonne-moi d'ignorer le lieu de ta tombe
Ô toi célébrité oubliée
Ô toi chanteur de chansons banales
Ô toi passereau du plus obscur fourré
Ô toi rivière aux trop nombreux barrages
Ô toi vautour orphelin sans viande
Ô toi qui as sucé un fusil jusqu'à l'orgasme
Pardonne-moi d'évoquer ton fantôme si souvent
Pardonne-moi de donner ton nom à un oiseau
Pardonne-moi de garder une photo de toi nue
Tous nous verrons Dieu, mais pas avec nos yeux
Jim Harrison
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